" De Félix the Cat à Blacksad, en passant par Chaminou, le chat s’est imposé comme un personnage de BD incontournable.
Étudier les félins en cases permet d’aborder de manière originale l’histoire des animaux. Le 9e art fait en effet écho à la situation et à la représentation du chat dans les sociétés humaines, avec des héros d’abord vus comme rusés et anticonformistes, tels Pat Hibulaire ou Krazy Kat, puis avec l’affirmation de fidèles compagnons, comme le chat de Gaston ou les félins « mignons » des mangas.
Mais l’analyse des « séries félines » permet aussi et surtout de mieux appréhender le fonctionnement de la BD. Les héros-chats jouissent d’une grande plasticité, et épousent plus ou moins les fonctions des personnages de papier humains.
On se demandera par exemple comment un félin muet communique avec les lecteurs, comment les chats naviguent entre dessin animé, dessin de presse et BD, ou encore si certains héros au pelage sombre peuvent être porteurs d’une identité afro-américaine.
L’ouvrage multiplie les exemples, en évoquant aussi bien la BD franco-belge que les comics et les mangas, et favorise les approches les plus diverses, en mobilisant des historiens de la BD et de l’animal, mais aussi des littéraires et des « stripologues »."
" (...) Pour ce qui est, toujours en France, des études savantes, la première sémiologie, celle des années 1970, très influencée par le barthésisme, apprécie au premier chef dans Krazy Kat la dénudation des codes. Le strip constituait l’exemple quasi-providentiel d’une bande dessinée qui échappait à l’illusion référentielle, alors honnie, puisqu’il mettait en évidence ses propres artifices, que le décor changeait à chaque case, que le jour et la nuit se succédaient arbitrairement de case en case, etc. Les sémiologues notent la volonté de Herriman de briser les codes, nourrissant donc l’espoir de sortir d’une conception traditionnelle de la bande dessinée (mouvement considéré comme déjà achevé pour le roman (...)"
« Je suis aimant, mais je ne suis pas si gentil », affirme le chat du Rabbin de Joann Sfar (p.266), comme pour résumer cette ambivalence… Si le mythos d’un félin à la fois affectueux et indomptable, conciliant et indocile, séducteur et prédateur n’est pas novateur en soi, Sfar met à profit cette dualité en faisant du chat le narrateur espiègle d’un conte familial ludique et touchant.
Ce dispositif narratif particulier qui consiste à donner la parole au chat, non seulement comme personnage, comme il est d’usage en bande dessinée par le simple truchement du phylactère, mais en tant que raconteur d’histoire – instance diégétique dont la voix occupe les récitatifs en haut de chaque case – contribue à un décalage cognitif d’où émane l’un des ressorts humoristiques principaux de cette série d’albums…"
Chats en case
Entre histoire de la BD et histoire de l'animal
- Sous la direction de Phil Delisle
"En dépit de la prolifération des publications dont le paysage fait l’objet depuis une quarantaine d’années, nous manquons d’un véritable traité théorique et systématique.
Le livre d’Alain Roger comble ce vide. L’auteur s’attache à exposer, dans une langue accessible au plus large public, les principales questions que soulève, aujourd’hui, la notion, si maltraitée, de « paysage ». On trouvera donc ici une histoire du paysage occidental – Campagne, Montagne, Mer –, ainsi qu’une réflexion sur les débats qui divisent actuellement les spécialistes : quels sont les rapports du paysage et de l’environnement ? Qu’en est-il de cette mort annoncée du paysage ? Quelle politique convient-il de mener dans ce domaine ?
L’ouvrage est engagé. Il dit son refus de tous les conservatismes. Il se veut aussi ludique – le paysage peut-il être érotique ? – et, surtout, optimiste. L’hommage aux artistes qui, siècle après siècle, ont inventé nos paysages se double d’une confiance fervente en tous ceux qui poursuivront cette aventure esthétique, à condition que nous ne restions pas prisonniers d’une conception frileuse et patrimoniale du paysage."
"Vico prétendait que « les sciences doivent prendre pour point de départ le commencement de l’objet dont elles traitent », et Lévi- Strauss, à la fin de Tristes Tropiques, évoque, dans une page célèbre, « la grandeur des commencements ». Or le commencement du paysage européen, c’est le xve siècle, et je me propose de dégager les traits essentiels du modèle pictural, tel qu’il s’élabore à cette époque, bien avant de recevoir son nom et de modeler, artialiser in visu, des siècles de perception occidentale.
Ce n’est évidemment pas un hasard si, avec la perspective picturale et sa codification albertienne, se constituent simultanément le « cube scénique » (Francastel), le Raumkasten (Panofsky), d’une part, et le fond de paysage, d’autre part. Cette solidarité n’autorise pourtant pas à parler, avec Anne Cauquelin, d’une « naissance conjointe du paysage et de la peinture » et moins encore à décréter que la « question » de la peinture « dès sa naissance a été la question du paysage, au point que l’un ne peut se passer de l’autre ». Il est vrai que le paysage occidental, en tant que schème de vision, est originairement pictural, comme, d’ailleurs, le shanshui chinois, et qu’il est resté durablement, même en littérature, essentiellement tabulaire ; mais la réciproque est spécieuse. Ce n’est pas la peinture qui a induit le paysage, mais cette peinture-là, qui, inventant un nouvel espace au Quattrocento, y a inscrit, progressivement et laborieusement, ce paysage-là."
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