mercredi 26 novembre 2014
Ce réel que dévoile le langage poétique...
Rose Goetz, « Dire l’être-à-dire : l’intrépidité ontologique de Paul Ricœur », Le Portique [En ligne], 26 | 2011, document 3, mis en ligne le 11 février 2011, consulté le 25 novembre 2014. URL : http://leportique.revues.org/2508
" (...) Ricoeur aborde un problème très particulier : celui de la métaphore. Les conceptions du langage esquissées par Ricœur dans les deux essais du Conflit des interprétations trouvent « leur centre de gravité dans le phénomène de l’innovation sémantique, autrement dit la production d’un sens nouveau par des procédures langagières » 24 : l’innovation sémantique est une création réglée. L’étude de la métaphore est entreprise pour les mettre à l’épreuve.(...) Ricœur pose que la métaphore ne consiste pas en une dénomination déviante mais en une attribution impertinente. Certes, l’écart demeure entre le sens usuel, littéral, d’un mot et son sens figuré, mais ce trope, ce détournement, est l’effet de la production prédicative de la signification, non sa cause. La métaphore rapproche des champs sémantiques incongrus, comme on le voit dans ces vers des Correspondances de Baudelaire :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
La copule "est" ne se borne pas à relier le prédicat "temple" au sujet "Nature". Elle implique que par la relation prédicative soit redécrit ce qui est. Le "est" métaphorique signifie à la fois "n’est pas" et "est comme". Le "voir comme" de l’énoncé métaphorique a pour corrélat un "être-comme" extra-linguistique, un réel que dévoile le langage poétique : « Cette transition de la sémantique à l’herméneutique trouve sa justification la plus fondamentale dans la connexion en tout discours entre le sens, qui est son organisation interne, et la référence, qui est son pouvoir de se référer à une réalité en dehors du langage » 25. C’est sur le fond de cette thèse générale que Ricœur tente une explicitation ontologique de la référence dédoublée de la métaphore poétique. Dans la Cinquième Étude de La Métaphore vive, il énonçait la possibilité que « la référence au réel quotidien doive être abolie pour que soit libérée une autre sorte de référence à d’autres dimensions de la réalité » 27. Au terme de l’ouvrage, cette possibilité se mue en fait irrécusable, comme le rappelle, en 1976, « L’imagination dans le discours et dans l’action » : « Un examen de la puissance d’affirmation déployée par le langage poétique montre que ce n’est pas seulement le sens qui est dédoublé par le procès métaphorique, mais la référence elle-même. Ce qui est aboli, c’est la référence au discours ordinaire, appliquée aux objets qui répondent à un de nos intérêts, notre intérêt de premier degré pour le contrôle et la manipulation. Suspendus cet intérêt et la sphère de signifiance qu’il commande, le discours poétique laisse-être notre appartenance profonde au monde de la vie, laisse-se-dire le lien ontologique de notre être aux autres êtres et à l’être. Ce qui ainsi se laisse dire est ce que j’appelle la référence de second degré, qui est en réalité la référence primordiale » 28.28 . Du texte à l’action, p. 221
Dans Réflexion faite, Ricœur regrette l’absence, dans La métaphore vive, d’un chaînon intermédiaire entre la référence visée par l’énoncé poétique et l’être-comme inédit que cet énoncé détecte. Ce chaînon manquant est l’acte de lecture : « c’est le monde du lecteur qui offre le site ontologique des opérations de sens et de référence qu’une conception purement immanentiste du langage voudrait ignorer » 29. Ce rôle du lecteur sera mis en évidence dans la quatrième partie de Temps et récit dont la seconde section est consacrée à la transformation de l’expérience temporelle du lecteur sous l’effet du récit. La Métaphore vive et Temps et récit ont bien des points communs, traitant tous deux de l’innovation sémantique et de la capacité du langage à « dire l’être-à-dire ». Il faut prendre acte, cependant, d’une certaine évolution de la pensée de Ricœur entre 1975 et 1983. Il porte un intérêt croissant à la notion de texte (de grande unité de discours), relie de plus en plus fortement le texte à l’action (l’action sensée peut être interprétée comme un texte) et aperçoit enfin la connexion nécessaire entre « la fonction narrative » et « l’expérience humaine du temps ». (...)
" A suivre", ben oui...
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