mardi 12 août 2014


Imaginons qu'au cours d'un long (400 pages...) récit sur les misères et le déclin d'un prof vieillissant, on trouve une séquence où le prof s'exclame, lors d'une réunion après une inspection, excédé : "Monsieur l'inspecteur, vous êtes chiant!"
Si l'on analyse, selon divers schémas narratologiques, le récit ds son ensemble ( donc après avoir fait un choix opératoire de ctaines séq, que ce soit sur le plan de l'approche de la fiction -un résumé, par ex, un "pitch" -  ou de la narration par ex temporalité, pt de vue du Narr,...- )  cet épisode a peu de chance d'être retenu...
Or, il risque bien de "marquer" le lecteur, pour des raisons qui ne sont ni purement formelles ( la narration), ni purement de l' ordre de la fiction....
C'est que cet épisode marque pcq il combine ces 2 plans du 

récit : l'expression même :"vs êtes chiant" formulée à l'égard de l'inspecteur marque 1 moment de TENSION du récit, "un dérapage", qui s'explique par l'inadéquation choquante de la formule ds ce contexte SOCIAL_ CULTUREL. Les éléments interagissent, et le "vs êtes chiant" indique non pas un" truc" slt  litt mais un jeu sur la substance de la forme ( l'expression vocifère bien autre chose que l'ennui du prof) selon Hjemslev, même si, ds la forme du contenu, au vu de tout cequi se passe par ailleurs, l'épisode semble trop anecdotique pour être retenu ds 1 schéma narratif "scolaire"...

La tension entre les 2 univers est bien là, pourtant, et restera pt être comme 1 temps fort ds la lecture menée par certains lecteurs... C'est en cela que Ricoeur parle d'un "monde du txt", fait de cette "tension" entre les éléments de narration et les avancées de la fiction; il les observe comme des temps forts du récit, porteur ainsi d'un monde à part, qui mérite certainemt, au moins pour ctains épisodes, l'attention du lecteur, le commentaire, et prête à interprétation...
Ces épisodes créent/ nourrissent aussi la "mimésis", non par simple "effet de réel", ms surtout par le sens pris dans la progression de l'intrigue et l'effet produit sur la perception du réel du lecteur, surpris, ravi ou choqué, c'est selon...




To' ratt' !!

sur Matt Scudder, un cama' d'encre et de papier....



 Repris du blog de "D. R."...



"J'ai malheureusement oublié qui m'a indiqué, il y a une quinzaine d'années,Lawrence Block, cet auteur assez coté, ai-je compris, auprès des amateurs de romans policiers [1]. Dommage, mais cet informateur est resté mon soldat inconnu à qui je ne manque jamais d'allumer un cierge quand je lis un nouvel épisode des aventures de Matt Scudder.

Matt était flic et buvait comme un trou. Un jour, lors d'un hold-up qui se termine en fusillade, une balle perdue tue net une petite fille qui se trouvait parmi les passants. Il ne s'en remet pas, démissionne de la police, se reconvertit comme privé et suit une cure de désintoxication. Scudder est donc un alcoolique, quelqu'un qui – pour répondre a la seule définition médicale qui fasse à peu près l'unanimité – a perdu la liberté de s'abstenir de consommer de l'alcool [2]. Un alcoolique abstinent.

Les aventures new-yorkaises du détective sont donc scandées, entre deux planques, de visites aux réunions des Alcooliques anonymes qui se tiennent, jour et nuit, aux quatre coins de la ville. Matt a-t-il un coup de blues, il tire de sa poche le programme hebdomadaire des A.A. et se précipite en pleine nuit dans le Bronx, si c'est là que se tient, cette semaine-là, la réunion de trois heures du matin.

Il va sans dire que Lawrence Block sait de quoi il parle. Huit Millions de façons de mourir [3] contient l'un des portraits psychologiques les plus saisissants de l'alcoolique qui se ment à lui-même et, accessoirement, aux autres quant à sa dépendance. Mais, surtout, chaque nouveau titre de la série des Matt Scudder comporte quelques lignes d'une cruelle lucidité sur le dispositif quasi sectaire des Alcooliques anonyme [4]. En voici un passage:
« Six mois auparavant, un mardi soir de la mi-juillet où il faisait une chaleur étouffante, j'assistai à ma réunion habituelle du soir, dans le sous-sol de l'église Saint-Paul. Je sais que c'était un mardi , parce que je m'étais engagé pour six mois à aider à remplier et empiler les chaises après les réunions du mardi. Les A.A. ont une théorie selon laquelle ce genre de service permet de rester sobre. Je n'en suis pas si sûr. À mon avis ce qui vous permet de rester sobre c'est de ne pas boire, mais empiler des chaises ne fait sans doute aucun mal. Il n'est pas facile d'attraper un verre quand on a une chaise dans chaque main [5]. »

Mais le plus confondant, pour qui partage le statut de Matt, ce sont encore ses retrouvailles dans Le Diable t'attend [6] avec Jane Keane, une amie perdue de vue, elle aussi alcoolique abstinente, qui l'appelle un soir. Elle veut le voir, c'est urgent. Matt lui rend visite, dès le lendemain. Elle lui demande de lui procurer un revolver. Elle vient d'apprendre qu'un cancer du pancréas ne lui laisse que peu de temps à vivre et l'assurance de souffrances d'ores et déjà terribles. Elle veut pouvoir en finir si l'épreuve est au-dessus de ses forces. Matt lui suggère qu'il y a moins violent qu'une balle dans la tête, avec le risque de se rater. Elle a bien lu un livre, Final Exit, qui publie les doses létales à employer pour se suicider avec des médicaments ; mais « le scénario typique consistait à s'enfiler une pleine poignée de narcotiques et à faire descendre le tout avec un verre de whisky.
– Putain, Matt ! J'ai trop misé sur l'abstinence pour me satisfaire de mourir autrement que dans l'abstinence. Je préfère souffrir que de vivre avec quelque chose qui me masque la douleur. Et merde, quoi ! C'est la donne dont j'ai hérité, tu sais ? J'essaierai de jouer la partie aussi longtemps que je pourrai, et puis je passerai. C'est ma donne à moi et je peux plier quand je veux. »

Voilà qui ne s'invente pas. Je suggère à toute personne en difficulté avec l'alcool de se faire, sans attendre, un ami de Matt. Et, ministre de la Santé, j'imposerais la lecture des romans de Lawrence Block à tous médecins, soignants et responsables d'associations d'anciens buveurs candidats à la prise en charge et à l'accompagnement de ce « mauvais malade » qu'est l'alcoolique : ce patient qui ne guérit jamais et qui, jusque dans une abstinence rayonnante – telle Jane –, blessera le narcissisme de ses thérapeutes et, presque toujours, celui de son entourage."



[1] Ses premiers ouvrages traduits en français sont disponibles dans la « Série noire » aux éditions Gallimard ; les plus récents aux éditions du Seuil. Seule une moitié des titres environ met en scène Matt Scudder, tous ceux que j'ai lus, en revanche, évoquent plus ou moins longuement l'alcoolisme.
[2] Définition de Pierre Fouquet, l'un des fondateurs de l'alcoologie dans les années 1950 ; in (entre autres références nombreuses) Jean-Paul Descombey, Précis d'alcoologie clinique, Dunod, 1994.
[3] Gallimard, 1989, pp. 84-88 et passim.
[4] Je renvoie qui s'effaroucherait de cette assertion au livre de Joseph Kessel, Avec les Alcooliques anonymes (Gallimard, 1960 – toujours disponible), qui brosse l'histoire du mouvement et décrit assez clairement les fondements du dispositif à proprement parler confessionnel qui sous-tend l'approche culpabilisante de l'alcoolisme chez les A.A.
[5] Une danse aux abattoirs, Gallimard, 1993, p. 66.
[6] Le Seuil, 1995.

Lawrence Block, D.R.

lundi 4 août 2014

Ford, John ( Edouard Waintrop, mai 2012 )





doc    
 Quand Hollywood cultivait sa fibre sociale dans l’entre-deux-guerres

Dans l’entre-deux-guerres, certains acteurs et réalisateurs américains très populaires mêlaient à leur attachement aux valeurs traditionnelles une nette sensibilité sociale. Le parcours du cinéaste John Ford en témoigne.
par Edouard Waintrop, mai 2012

Se dire de gauche ou afficher quelque inclination pour le Parti communiste faisait bon effet dans certains cercles de Los Angeles à l’époque du New Deal, dans les années 1930. Après tout, l’une des conséquences du passage du cinéma au parlant avait été l’arrivée massive d’écrivains originaires de la Côte est, souvent issus de l’immigration européenne, puis d’Européens qui fuyaient le nazisme.

Cette tendance inquiéta vite le Federal Bureau of Investigation (FBI), qui alla jusqu’à monter un dossier contre le réalisateur John Ford. Cela peut paraître étrange à ceux qui, se souvenant des films que l’Irlando-Américain a mis en scène après la seconde guerre mondiale et de leurs accents martiaux, voient en lui un cinéaste réactionnaire. Et pourtant… L’intérêt du FBI pour ce fils d’un organisateur du Parti démocrate de Portland fut suscité par la naissance de l’association des réalisateurs, la Screen Directors Guild (SDG), en 1935. Cinéaste reconnu, Ford en était l’un des fondateurs. Aucun de ses succès des années 1910 et 1920 n’avait pourtant trahi la moindre sensibilité sociale : on y retrouvait plutôt une idéologie « Middle West » qui célébrait les viriles vertus rurales face à ce que le théoricien populiste du XIXe siècle William Cobbett appelait les « frivolités efféminées de la métropole (1) ».

Pendant la crise de 1929, Ford perdit un peu d’argent mais continua à travailler et à bien gagner sa vie. Puis les contraintes, notamment financières, qui pesaient sur Hollywood se firent plus lourdes. Ford se mit à critiquer une production qui n’était plus orientée que vers la rentabilité. Il se radicalisa. Il n’alla pas jusqu’à s’afficher, comme l’acteur James Cagney, la star de ces années-là, avec un dirigeant du Parti communiste américain (2) : il restait animé par un anticommunisme sans faille. Mais à ses amis, comme le scénariste Philip Dunne, lui-même homme de gauche, il confia qu’il était un partisan du président Franklin Roosevelt, l’artisan du New Deal.

En décembre 1935, le réalisateur King Vidor, un grand nom du cinéma des années 1920 et 1930, reçut chez lui des amis. Ford se trouvait parmi eux. Ces hommes, dont certains étaient des cinéastes considérables, avaient une réputation d’individualistes forcenés. Cela ne les empêcha pas de créer, avec une mise de 100 dollars par tête, la SDG, « afin de protéger, selon les mots mêmes de Ford, l’intégrité de leur profession ». Vidor en fut élu président. Cette initiative ne fut pas applaudie par les patrons des studios.

L’époque était encore marquée par la Grande Dépression. Dans tout le pays, le patronat se montrait agressif envers les syndicats et cherchait à remettre en cause les conquêtes sociales. Hollywood n’y échappait pas. En mars 1934, l’Association des producteurs de films, en liaison avec l’Academy of Motion Pictures, avait décidé des baisses de salaire allant jusqu’à 50 %. Les syndicats avaient protesté ; pour la première fois, le 13 mars, les techniciens cessèrent le travail. Le conflit fut court et son issue favorable aux grévistes. C’est ce succès qui semble avoir convaincu certains metteurs en scène de s’organiser. Leur SDG, formée après l’Association des acteurs (Screen Actors Guild) et celle des scénaristes (Screen Writers Guild), était considérée comme moins à gauche que ses aînées. Elle gênait pourtant les patrons des majors, qui l’accusèrent d’être inspirée par les communistes…

Ford participa avec ferveur aux premières années de la SDG. Il en fut le trésorier. Il exprima sa solidarité avec les autres salariés des studios, dénonça le chômage qui ravageait le monde du cinéma, et s’en prit aux banques qui, d’après lui, tiraient les ficelles derrières les moguls (« magnats ») hollywoodiens et organisaient la crise « pour ramener les salaires à leur niveau de 1910 ». En 1935 commença également sa courte mais réelle période d’engagement politique.

De tout temps, Ford avait été mû par une sainte détestation de l’establishment. S’y ajoutaient maintenant l’influence de ses scénaristes, Dudley Nichols et Dunne, notoirement progressistes, ainsi que ses discussions avec l’acteur Will Rogers, qui, issu de l’Amérique profonde, défendait des positions politiques originales. Satiriste, critique des transformations de la vie américaine sur scène comme à la ville, Rogers, qui revendiquait ses racines indiennes, avait failli être candidat à la présidence des Etats-Unis en 1932. Au cinéma, où il entama sa carrière en 1918, cet homme maigre, aux cheveux grisonnants et au sourire timide, était, juste après Shirley Temple, l’acteur qui attirait le plus le public dans les salles.

Ses valeurs étaient proches de celles du People’s Party, qui avait émergé à la fin du siècle précédent et qui, bien qu’ayant disparu depuis, survivait dans le cœur de certains « conservateurs de gauche ». Anticapitaliste, antiraciste, antiautoritaire et attaché aux idéaux pionniers, ce parti se méfiait du développement économique et du salariat, qu’il jugeait incompatible avec la liberté et la démocratie américaine. Il défendait une république de petits propriétaires, de coopératives, et une plus grande égalité. Dans cette ligne, l’acteur cultivait un bon sens populaire, professait un respect de la tradition, des valeurs morales simples, se méfiait de la politique quand elle s’éloignait des citoyens, rejetait le puritanisme et montrait un grand appétit de justice sociale. Ford lui donna le rôle principal dans trois films : Doctor Bull (1933), Judge Priest (1934) et Steamboat Round the Bend (1935), des mélanges de drame et de comédie, injustement oubliés. Le comédien participa à l’écriture du scénario. Dans les deux derniers, fait rarissime à l’époque, il donne la réplique à Stepin Fetchit, un acteur noir, son alter ego pour l’humour. Il mourut dans un accident d’avion en 1935. Le réalisateur resta fidèle aux idées de son ami — du moins un certain temps.

L’année suivante, il adapta Le Mouchard, un roman de son cousin Liam O’Flaherty, un Irlandais de gauche. Il réalisa ensuite pour la RKO Révolte à Dublin, puis revint à la Fox, dirigée par Darryl F. Zanuck. Les rapports avec ce producteur autoritaire furent d’abord orageux ; puis les deux hommes s’apprivoisèrent. Zanuck admirait Ford et celui-ci se sentait bien dans une société dirigée par un homme paradoxal, à la fois républicain et sensible aux sujets sociaux. « Avec lui, Ford tourna des films différents, plus directs, plus émouvants. Par goût autant que par obligation, il se concentra sur l’histoire américaine et sur des sujets à forte connotation sociale. Entre 1935 et 1941, il connaîtra un triomphe artistique avec La Chevauchée fantastique, Vers sa destinée, Les Raisins de la colère et Qu’elle était verte ma vallée (3). » Dans le premier film — Stagecoach en version originale —, Ford se livrait à une critique sociale acerbe, avec notamment une jolie caricature de banquier véreux, tout en massacrant allègrement les Indiens. Dans le deuxième — Young Mr. Lincoln —, il célébrait les idéaux de tolérance et la personne d’Abraham Lincoln. Dans le troisième, adaptation du célèbre roman de John Steinbeck, il fustigeait l’injustice sociale. Dans le dernier, il glorifiait la classe ouvrière à travers les mineurs.

L’engagement pro-ouvrier et démocratique de Ford ne se manifesta pas que dans ses films. En 1936, opposé au soutien de l’Eglise au soulèvement militaire d’extrême droite contre le gouvernement espagnol légitime, cet étrange catholique participa à la fondation du Comité des artistes de cinéma pour l’aide à l’Espagne républicaine. Il y était entouré de son ami Nichols et du romancier Dashiell Hammett, auteur du Faucon maltais et de La Moisson rouge, qui travaillait comme scénariste à Hollywood (4). Dans ce groupe figurait aussi Lester Cole, qui, en 1948, serait l’un des « dix de Hollywood » — groupe de scénaristes, producteurs et cinéastes condamnés à la prison pour avoir refusé de témoigner de leur appartenance au Parti communiste.

Quand Ernest Hemingway, auteur du commentaire de Terre d’Espagne, tourné par Joris Ivens en soutien aux républicains, vint à Hollywood lever des fonds, Ford fit don d’une ambulance. Il maintint aussi une correspondance avec son neveu, Bob Ford, qui avait traversé l’Atlantique pour rejoindre les Brigades internationales. Le cinéaste le félicita de son courage et se déclara « définitivement socialiste et démocrate — toujours de gauche ». Il ajouta cependant que ce qui se passait en Union soviétique à ce moment-là (les grandes purges, les procès de Moscou) l’avait convaincu que le communisme n’était pas non plus la solution.

En 1938, Ford fut élu vice-président du Motion Picture Democratic Committee, fondé pour lutter contre le fascisme et le racisme et soutenir le mouvement pour les droits civiques. Hammett en était le président. Le pacte germano-soviétique de 1939 fit vite éclater ce comité en deux blocs opposés, avant d’affaiblir la gauche hollywoodienne dans son ensemble.

L’époque était en train de changer. La droite conservatrice avait repris du nerf. La commission des activités antiaméricaines venait d’être créée ; la guerre menaçait. Ford allait s’y engager pleinement auprès de l’Office of Strategic Services (OSS), l’ancêtre de la Central Intelligence Agency (CIA) — d’abord par antifascisme, puis par patriotisme. Il la termina avec le grade d’amiral dans la Navy.

En 1944, il démontra un anticommunisme revigoré en adhérant dès sa création (avec Clark Gable, Gary Cooper...) à la très droitière Motion Picture Alliance. Il tournait ainsi le dos à ses amis des années 1930. Comme l’écrit Joseph McBride : « Il avait passé quatre années en compagnie d’officiers supérieurs et fait cause commune avec l’OSS. Ce qui avait entraîné un changement profond de ses opinions politiques (5). » Cela ne l’empêcha pourtant pas, sous le maccarthysme, de refuser la chasse aux sorcières contre les communistes. Il fustigea même ceux parmi ses collègues qui, comme Cecil B. DeMille, s’en firent les complices.

Et voilà...